Article du 5 février 2004
L'établissement de l'ordre
juridique napoléonien:
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1 «Les sociétés auxquelles on donne des lois doivent être considérées telles qu'elles sont, et non telles qu'elles pourraient être»2, observait en 1802 Guy Jean-Baptiste Target en sa qualité de rapporteur du projet de Code criminel réalisé sur l'ordre de Bonaparte3. |
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C'était un code plutôt sévère que ce code que Target avait élaboré, un projet fondamentalement basé sur le principe de l'intimidation: il prévoyait l'amputation du poing, la marque, les peines de détention à perpétuité, la peine de mort pour le vol aggravé4. Le tout accompagné d'un appareil scénique impressionnant. Target était féru de Bentham, dont l'oeuvre concernant le droit civil et criminel circulait par morceaux dans le milieu français dès 1796, dans des feuilles de la Bibliothèque Britannique5 et en appendice de la cinquième édition de l'oeuvre de Beccaria6. «La punition doit être économique et exemplaire» précisait Bentham en 17977. En 1802 il ajoutait: «Donnez aux cérémonies qui les accompagnent une sorte de pompe lugubre. Appelez à votre secours tous les arts imitatifs, et que les représentations de ces importantes opérations soient parmi les premiers objets qui frappent les yeux. Un échafaud tendu de noir, cette livrée de la douleur - les officiers de la justice en habit de deuil - l'exécuteur revêtu d'un masque qui serve à la fois à augmenter la Terreur et à dérober celui qui le porte à une indignation mal fondée des emblêmes du crime placés sur la tête du criminel, afin que les témoins de ses souffrances soient instruits du délit qui les lui attire. Que tous les personnages de ce drame terrible se meuvent dans une procession solennelle - qu'une musique grave et religieuse prépare les coeurs»8. Target avait suivi à la lettre les enseignements du philosophe anglais. La mise en scène qu'il réservait à l'exécution de certains criminels était volontairement terroriste: le parricide, l'uxoricide, l'homicide, l'incendiaire, l'empoisonneur, le sadique étaint conduits «sur le lieu de l'exécution» habillés «d'une tunique rouge»: «il y sera exposé aux regards du peuple pendant une heure, sur une estrade élevée d'un mètre»9. Au-dessus de leur tête on plaçait un écriteau «portant en caractères gros et lisibles, son nom, son crime et sa peine; lesquels seront proclamés à haute voix par l'exécuteur, en le montrant au peuple, tant avant de l'attacher»10. Ensuite, peu avant de les mettre à mort, le bourreau leur coupait la main. La sépulture du condamné obéissait également à un rituel: «Les coupables» étaient enterrés - selon l'article 15 - «le long des grands chemins, dans l'endroit le plus voisin du lieu où les crimes auront été commis». Sur le lieu où avait été commis le délit on devait dresser «un poteau de bois dur sur le quel» on mettait «à un mètre et sept décimètres de hauteur au plus, en gros caractères gravés dans le bois et peints à huile en couleur rouge, une inscription portant la nature du crime en ce terme: Ici gît un parricide, un assassin, un empoisonneur, un incendiaire, ou un brigand, frappé de mort par la loi»11. On employait la même méticulosité pour décrire l'application de la peine de la marque, exécutée «sur la place publique par l'application d'une empreinte avec un fer brûlant, sur les deux épaules»: lettre T et P pour les condamnés aux «travaux forcés à perpétuité»; D pour les déportés; T pour les «travaux forcés à temps», F pour le faussaire et V «s'il est un voleur»12. |
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C'était avec des règles de ce genre que Target pensait faire face au problème de l'ordre public. On sait qu'au début du Consulat, les troubles sociaux étaient préoccupants: les chauffeurs, la Bande d'Orgères, de terribles bandes de criminels sévissaient dans les campagnes qu'ils saccageaient et ensanglantaient impunément13. Les pouvoirs publics étaient allarmés. «Les crimes, les brigandages se multiplient [...]. Les voitures publiques sont arrêtées chaque jour. [...]» écrivait-on du département de la Mayenne aux Consuls14. D'où la nécessité d'exagérer l'aspect de l'intimidation: «à des calamités présentes il faut opposer des remèdes rapides: tel est le but des lois criminelles et du code Pénal», observait Target dans son sombre Rapport15. Sur ce point il n'était pas isolé. Plus ou moins tous les magistrats français appelés à faire des réflexions sur le projet de code criminel estimaient que l'exemplarité de la peine était indispensable pour la défense sociale16. Le caractère essentiel de la législation pénale, notaient les juges composant le tribunal d'appel de Pau, «doit être celui d'une effrayante sévérité, on a dû fortement sentir la nécessité d'élever le système pénal à un degré de sévérité qui lui imprime l'effet salutaire et inévitable de la Terreur la plus imposante»17. Dans les salles de justice l'exemple prenait une allure de slogan. «Le code pénal est un pacte de guerre, il faut qu'on tremble en le lisant; il faut par humanité que tout y soit terrible, jusqu'au style employé pour sa rédaction», observait l'auteur anonyme d'un pamphlet conservé aux Archives Nationales18. La politique criminelle en France subissait clairement une involution dans un sens autoritaire et répressif. |
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Guy Jean-Baptiste Target ne contribuait pas seulement à la remise en ordre napoléonienne du droit pénal. C'était aussi un artisan de la codification civile.Il avait été chargé en qualité de juge du tribunal de Cassation (dont il avait été Président de la section civile) de formuler des observations sur le texte élaboré par Portalis, Tronchet, Bigot de Préameneu et Maleville19; de plus il avait rédigé lui-même un projet de code civil, projet que nous avons retrouvé aux Archives Nationales de Paris20. |
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Ce
projet mérite d'être analysé pour deux raisons. |
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Le texte de Target est intéressant pour une autre raison. Vu la personnalité de son auteur, hautement représentative du rapport 'politique', fondamental et délicat, qui s'instaura entre Napoléon et les juristes, ce projet inconnu apparaît comme un témoignage exemplaire du climat juridique et politico-culturel français qui régnait après la Révolution. Dans ce document, comme l'éclat d'un miroir, se reflète entièrement l'univers mental plutôt complexe du législateur et des juristes à mi-chemin entre révolution et réaction et en même temps, apparaissent les racines thermidoriennes du Code Napoléon26. |
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Dans le projet on peut entrevoir la ligne autoritaire et conservatrice qu'allait suivre le législateur de 1804. En examinant la partie qui traite du droit de famille, nous pouvons remarquer que le modèle de société domestique que propose le projet de notre juriste est le modèle traditionnel à structure verticale: le père, défini chef de famille, y exerce vigoureusement son empire. Target lui restitue le pouvoir de faire emprisonner ses enfants rebelles. La femme est rivée à une incapacité d'exercice paralysante27. |
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En accord avec les convictions nées de ce moment historique, la famille est conçue comme une citadelle à défendre. D'où l'hostilité manifeste envers le divorce et la position désavantageuse des enfants naturels et adoptifs. On introduit des mesures préventives formelles pour décourager le divorce28; l'adoption n'est accordée qu'aux conjoints sans enfants; les enfants naturels sont mis dans une condition d'infériorité par rapport aux enfants légitimes. Aux enfants de la nature comme aux enfants adoptifs, on affecte une part d'héritage très nettement inférieure à celle qui revient aux enfants légitimes29. |
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Quant au droit de propriété, son règlement préfigure une tendance qui se fortifiera avec l'autoritarisme du régime napoléonien30. La propriété sera déclarée sacrée et inviolable (et cela pour rassurer les acquéreurs des biens nationaux31) mais avec la réserve que son exercice sera surveillé dans tous les cas32. |
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Le projet de code civil de Target présente donc un caractère nettement conservateur. C'est un texte qui réalise un programme d'inspiration réactionnaire par rapport à la législation jacobine. Un dernier indice dépose dans ce sens: Target réintroduit la contrainte par corps pour dettes en matière civile33. |
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Une telle codification ne s'explique pas exclusivement à la lumière des contingences politiques tumultueuses. Les conceptions philosophiques en vogue dans les années qui vont de 1795 à 1804 ont elles aussi joué un rôle décisif. Chez Target, Idéologie et Utilitarisme influencent non seulement le pénaliste mais aussi le civiliste. Soulignons que dans les observations qu'il fit sur le projet de la commission napoléonienne en tant que membre du Tribunal de Cassation34, Target n'hésite pas à affirmer que le législateur doit se servir des penchants des individus pour en orienter la conduite sociale. Les lois civiles doivent viser à rendre les hommes «moins malheureux et plus utiles à la société»35. Les êtres humains sont «sensibles à l'intérêt»36 et le législateur est appelé à «descendre dans le coeur des hommes»37. Mais plus encore: le seul critère auquel le législateur doit se conformer lorsqu'il exerce son "grand art" est celui de l'utilité, quel que soit le cas. A titre d'exemple, prenons le divorce come modèle. A propos de la légitimité de celui-ci, Target ne se demande pas si cette institution doit être accueillie en tant qu'expression de la liberté individuelle ou s'il faut la refuser parce que contraire aux principes moraux ou religieux. Autrement dit, l'ex-constituant ne se pose pas le problème en termes de justice: dans son optique, le choix dépend exclusivement d'un calcul utilitaire. La «question du divorce se réduit à ceci»: «le divorce» doit être «utile et sans danger»38. En substance pour Target, comme ensuite pour Napoléon, «l'utile circonscrit tout»39. Le Juste s'identifie avec l'Utile. Les théories déterministes des Idéologues40 et l'utilitarisme de Bentham41 (qui suggéraient au législateur de planifier et de guider la conduite des citoyens-individus en exploitant leurs automatismes psychiques42) semblaient indiquer la voie la plus raisonnable pour sortir de la crise et mettre fin à la Révolution43. |
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Nous voici ainsi arrivés au point central de notre discours: à la lumière de ce qui a été dit jusque là, Target incarne parfaitement la figure du juriste napoléonien. Retracer l'histoire de Guy Jean-Baptiste Target signifie tracer le portrait-type d'une grande partie des juristes napoléoniens - de Portalis, Maleville, Bigot de Préameneu, Viellart, Blondel, Siméon - c'est-à-dire de tous les juristes que Napoléon avait choisis avec soin comme futurs justificateurs du nouvel ordre politique. |
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Nous savons que, entre les juristes et Napoléon, il allait se créer très vite une véritable alliance: des programmes associés, des aspirations complémentaires, une même volonté de mettre fin à la Révolution et d'en gérer l'héritage. Napoléon était en train de construire le projet autoritaire de l'institutionnalisation de son pouvoir; les hommes de loi réclamaient la restitution du rôle social que leur ordre avait perdu avec la Révolution. Les juristes sollicitaient la remise en vigueur d'une bonne part de la tradition: puissance paternelle surtout, autorité maritale, testament44. Ils demandaient, en somme, d'inverser la législation jacobine libertaire. Or, les aspirations de chacun convergeaient dans l'idée du code civil. Pour Napoléon le code représentait une des masses de granit de son autocratie45, il constituait un instrumentum regni irremplaçable et était un moyen de glorifier son propre triomphe. Pour les juristes le code civil était l'objet d'un monopole de classe inestimable. De plus il voulait dire ordre, stabilité sociale, consacration de la nouvelle répartition de la richesse et en même temps sauvetage de la tradition juridique. Et aussi respect des moeurs46. |
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Or, la majeure partie des juristes que Napoléon avait "séduits" pour reprendre l'expression très pertinente de Jean-Louis Halpérin47, présentaient - si vous me permettez cette image - le même bagage génétique: c'étaient tous des professionnels de la justice sous l'Ancien Régime, ils apparaissaient gagnés aux principes et aux mythes de 1789; c'étaient des modérés qui avaient vu dans la monarchie constitutionnelle le modèle politique par excellence; durant la Grande Terreur, en tant que persécutés, ils avaient frôlé l'échafaud48. Et c'est précisément parce qu'ils avaient vécu en témoins directs l'expérience de la justice révolutionnaire et du bain de sang incontrôlé qu'ils ressentaient une répulsion invincible pour les "philosophèmes" déjà en vogue sur la sociabilité de l'homme et l'annulation de l'individu dans l'intérêt de l'ensemble. Ils estimaient donc essentiel de restaurer la sûreté et l'ordre: «le scepticisme engendre conservatisme et autoritarisme», a-t-on très justement observé49. |
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Une grande partie des juristes napoléoniens, de 1789 à Brumaire, avaient en commun le même parcours spirituel, la même évolution idéologique: de l'illusion au désenchantement50. |
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Prenons l'expérience de Target. Au début de la Révolution, Guy Jean-Baptiste Target, le prince du Barreau di Paris51, le «Dieu de la basoche»52, (figure «disgracieuse» mais style oratoire «dramatique et passionné», rapporte Hua53) est l'avocat engagé typique qui, à cette époque, est visiblement attiré par l'idéè d'agir directement pour réaliser le programme réformiste inspiré par la philosophie des Lumières. Et en effet, Target s'engage dans de multiples directions: en faveur d'une réforme religieuse (développée à l'enseigne d'une polémique anti-confessionnelle. En appuyant l'idée de la liberté du culte, Target se fait le promoteur de l'émancipation des Protestants54); en faveur d'une réforme économique (visant en particulier les institutions féodales55) et d'une réforme juridique (en 1787 avec quatre autres avocats, il est chargé par le ministre Lamoignon de procéder, rien de moins, qu'à une «refonte des lois civiles et criminelles»56). Il participe activement à la préparation des Etats généraux dirigeant la rédaction du Cahier du Tiers Etat de Paris hors les murs. Il rédige lui-même un Instruction qui sert de canevas pour le Cahier. Target se bat en particulier pour une justice pénale qui s'inspire des règles garantissant la certitude et surtout le respect de l'homme: «Que la vie et l'honneur des hommes soient garantis par un code pénal qui soit aussi doux et aussi précis qu'il sera possible», écrit-il dans son Instruction57. Une requête aussitôt formulée dans le Cahier: «Un code pénal plus doux et plus humain», peut-on lire dans la quatrième section du Cahier, qui proportionne «la peine aux délits et ne laisse «subsister la peine de mort que pour les crimes les plus graves»58. Target agit ainsi en émule de Montesquieu et de Beccaria. Il se bat pour garantir, en matière de sanctions, un traitement identique pour les citoyens «de tous les ordres»59; pour abolir la sellette, les cachots, la confiscation des biens du condamné; enfin pour que la sépulture des suppliciés soit «comme celle des autres citoyens, sans faire mention du genre de mort dans l'acte mortuaire»60. A l'Assemblée Constituante aussi Target continue à agir en disciple du philosophe milanais: c'est lui qui rédige le texte des articles pénaux de la Déclaration des droits de l'homme. Target, avec Duport, lègue son nom à l'histoire pour avoir consacré dans le texte de la Déclaration le principe de légalité et de non-rétroactivité du droit pénal61. |
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Le révolutionnaire optimiste qui a pris part avec conviction aux élans réformistes de la Constituante et qui a cru dans la régénération62, après Thermidor, fait place à un homme de loi qui a vieilli et durci, invitant à abandonner toute illusion. L'heure des bilans est venue. Et le jugement rétrospectif formulé par Target est amer: «tous les genres se sont confondus ou du moins mêlés dans cette révolution; ce qu'il y a de plus noble, de plus désintéressé, de plus courageux, avec une abjection, une cupidité, une atrocité jusqu'alors inconnues»63. Certes la Terreur a laissé ses blessures. Les souvenirs font mal: «l'intervalle qui nous sépare du 1er mai 1789 est une sorte d'éternité malheureuse : Voilà le jugement de la douleur»64. Le Constituant âgé, marqué par l'expérience de la Terreur, a perdu tout enthousiasme constructif. Le désenchantement succède à l'illusion. Target en est arrivé à une conception pessimiste de l'homme, identique à celle de Hobbes. Aux yeux de Target post-thermidorien, toute société humaine pullule «d'âmes dures, sèches, farouches, dénuées d'idées morales»65; de créatures aux «fibres grossières» qui obéissent uniquement «à leurs grossières sensations»66. Voilà la leçon que Target semble retirer de la Révolution et la mentalité qui s'est imposée chez lui, comme un peu chez tous les juristes napoléoniens ayant survécu à la tourmente67. Target, qui en 1789 regardait le peuple avec la sollicitude d'un père confiant que celui-ci pouvait-être guidé vers le bien «avec sagesse et prudence»68, en 1802 ne voit dans la population criminelle à soumettre à un traitement répressif qu'une «race abâtardie [...] dont la régénération se laisse à peine entrevoir»69. Celui qui à l'aube de la Révolution croyait sincèrement dans la valeur de l'éducation et dans la fonction pédagogique de la loi70 estime à présent que l'idée de perfectibilité est «rarement applicable»71. C'est devenu une idée «presque chimérique»72. Pour Target seule l'expérience est le guide le plus sûr du législateur. Il faut résoudre les «grandes questions non par de vagues théories mais par la combinaison méditée des principes et de l'expérience»73. Et c'est une idée insistante comme s'il voulait adresser à lui-même l'avertissement tiré des erreurs commises: «la raison du législateur ne se nourrit pas d'abstractions. Les leçons de la philosophie, il les recueille mais il les modifie par les faits dont il est environné et qui sont hors de son pouvoir»74. Ses convictions sur le caractère éducateur de la peine, professées durant la période de la Constituante, étaient donc fallacieuses: des théories «séduisante(s) mais vaine(s) qu'il faut reléguer dans le monde imaginaire»75. A partir de telles données psychologiques et anthropologiques, pour l'homme de l'après-Révolution, le droit pénal ne peut évidemment pas remplir une autre fonction que celle de défendre efficacement la société contre les attaques de la «classe pervertie»: «chaque jour cependant la société doit être conservée et à des calamités présentes il faut opposer des remèdes rapides: tel est le but des lois criminelles et du code Pénal»76. Bref, à présent notre juriste ne conçoit le droit que comme un instrument de contrôle social. Certes, le droit lui apparaît utile pour un but bien précis: réduire au minimum les dommages que l'homme peut causer à la société. |
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Or, et je conclus ainsi, l'évolution idéologique de Target- de l'illusion au désenchantement- est celle qu'ont accomplie Blondel, Jacqueminot, Pastoret, Portalis, Viellart, Bernardi,77. Les juristes napoléoniens avaient été jetés sur la même plage par la même tempête avec les épaves de leurs espoirs. A leurs yeux Napoléon représentait le capitaine du navire qui les sauverait78. |
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Remarques: 1 Abréviations: AN = Archives
Nationales Paris. 2 LOCRÉ, XV, p. 5. 3 Par l'arrêté du 7 germinal an IX (28 mars 1801) Bonaparte avait chargé de rédiger le projet de code criminel à Target, Viellart, Oudart, Blondel et Treilhard (V. P. Poncela, P. Lascoumes, P. Lenoel, Au nom de l'ordre, Une histoire politique du code pénal, Paris, Hachette, 1989, pp. 202-203). La minute de l'arrêté signée par Napoléon, conservée aux Archives Nationales de Paris (AN, Af IV 32) révèle que en premier lieu le gouvernement avait pensé à Merlin: c'était même le premier de la liste; puis après réflexion, d'un trait de plume, Napoléon lui préféra Viellart (V. S. Solimano, Verso il Code Napoléon. Il progetto di codice civile di Guy Jean-Baptiste Target (1798-1799), Milano, Giuffré, 1998 (Pubblicazioni dell'Istituto di storia del diritto italiano dell'Università degli studi di Milano, 22), p. 148. L'art. 3 de l'arrêté avait fixé au mois de messidor de la même année le terme de présentation du projet. La commission n'arriva pas à le respecter: comme le montre une lettre que Target avait adressée au criminaliste Scipion Bexon (par la suite publiée dans Application de la théorie des lois à l'homme considéré dans ses penchants et dans ses passions ou droit primitif des sociétés et à leur droit particulier ou Code criminel, Paris, 1807, p. II) en février 1802, les cinq juristes étaient encore au travail: «Paris 27 pluviôse an X. Je vous demande pardon, Monsieur d'avoir tardé à vous remercier au nom de la Commission, du présent très intéressant que lui avez fait par mes mains. J'ai voulu attendre que la lecture me mit à portée d'en rendre compte à mes collègues et de vous rendre grâce par eux et pour moi des avantages et des secours qu'ils retireront de votre travail ... Target» (Solimano, Verso il Code Napoléon cit., p.149 et n. 141). Cambacérès dans ses Mémoires inédits (Eclaircissements publiés par Cambacérès sur les principaux événements de sa vie politique, Paris, Perrin, 1999, p. 567) observait à propos du projet de code criminel: «Les lois civiles fixent l'organisation de la famille. Ainsi, elles contribuent essentiellement à fonder l'ordre moral. Celui-ci est ensuite garanti par de bonnes lois criminelles. Celles qui régissaient la France avaient besoin de réformes. Une autre commission fut chargée de les réviser et de les mettre en harmonie avec notre code civil et nos institutions politiques. Elle fut composée de Viellard, Target, Treilhard, Oudard et Blondel. Ils jouissaient tous depuis longtemps d'une réputation méritée. Cependant, leur travail n'a rempli ni les espérances du gouvernement, ni les attentes du public. Cette différence entre le code civil et criminel a tenu à la diversité des matières, et à une discussion moins approfondie de ce dernier plan de législation». 4 Sur l'esprit du Code criminel v. Poncela, Lascoumes, Lenoel, Au nom de l'ordre, Une histoire politique du Code Pénal cit., p. 203 et suiv.; B. Schnapper, «Compression et répression sous le Consulat et l'Empire», RHF, LIX, 1991, p. 26 et suiv.; J.M. Carbasse, Introduction historique au droit pénal, Paris, PUF, 1990, pp. 324-330; Id., «Etat autoritaire et justice répressive: l'évolution de la législation pénale de 1789 au Code de 1810», dans All'ombra dell'aquila imperiale, Roma, 1994 (Pubbl. Archivi di Stato), pp. 325 et suiv.; J.-G. Petit, Ces peines obscures; la prison pénale en France, 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, pp. 122-129; Solimano, Verso il Code Napoléon cit., p. 14-157; R. Martinage, Histoire du droit pénal en Europe, Paris, PUF, 1998, p. 76; M. Da Passano, Emendare o intimidire? La codificazione del diritto penale in Francia e in Italia durante la Rivoluzione e l'Impero, Torino, Giappichelli, 2000, pp. 101-112. 5 En octobre 1796, la revue Bibliothèque Britannique publiait une traduction française de quelques extraits de l'ouvrage de Jeremy Bentham, Introduction to the principles of morals and legislation: Bibliothèque Britannique ou Recueil extrait des ouvrages anglais périodiques et autres; des mémoires et transactions des Sociétés et Académies de la Grande Bretagne; rédigé à Genève par une Société de gens de Lettres, III, 1796, pp. 137-150 et pp. 265-283; V (1797), pp. 155-164, pp. 277-302; VI (1797-1798) pp. 3-26, pp. 281-306. Sur la diffusion de Bentham en France v. J. Zagar, Bentham et la France, Paris, 1958 (Thèse Lettres), pp. 187-198); L. Campos Boralevi, «Proprietà e politica in Bentham e Morellet: storia di una delusione», dans A. Morellet, Traité de la propriété e il carteggio con Bentham e Dumont: testi inediti, sous la dir. de E. Di rienzo et L. Campos Boralevi, Firenze, Centro editoriale toscano, 1990, pp. LXXIII-CXIV; sur la réception de Bentham dans le milieu des juristes napoléoniens Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 69-87. 6 Traité des délits et des peines par Beccaria; traduit de l'italien par André Morellet; nouvelle édition corrigée; précédée d'une Correspondance de l'Auteur avec le Traducteur; accompagnée de notes de Diderot; et suivie d'une Théorie des lois pénales, par Jérémie Bentham; traduite de l'Anglais par Saint-Aubin, Paris, De l'Imprimerie du Journal d'Economie Publique de Morale et de Politique, rue de Buffault, n° 499, An V-1797. Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 71-72, p. 150 n.47 et p. 228. 7 Théorie des lois pénales cit., p. 204. 8 J. Bentham, Traités de Législation civile et pénale, Paris, Bossange et Besson, 1802, III, Principes du Code pénal, p. 71. On ne peut nier que la pensée de Bentham soit arrivée a Target par l'ouvrage de Scipion Bexon. (v. supra n. 3). Sur la conception de Bentham v., outre le classique E. Halévy, La formation du radicalisme philosophique, Paris, 1901, (Alcan); M. A. E. H. El Shakankiri, La philosophie juridique de Jeremy Bentham, Paris, 1970 (Thèse Droit); F. Zanuso Utopia e Utilità, Padova, Cedam, 1989; C. Laval, Jeremy Bentham, Le pouvoir des fictions, Paris, PUF, 1994. 9 Projet de Code Criminel, Correctionel, et de Police, présenté par la Commission nommée par le Gouvernement, Paris, s.d., Imprimerie de la République, art. 13. 10 Ibidem. 11 Art. 15. 12 Art. 24. 13 R. Cobb, Reactions to the French Revolution, Oxford, 1972, (éd. it. Adelphi 1990), Chap. V; B. Schnapper, «De Thermidor à Bonaparte», dans La Révolution de la Justice, Paris, 1989 (De Monza), p. 213 et suiv.; Solimano, Verso il Code Napoléon cit., B. Schnapper, «Les systèmes répressifs français de 1789 à 1815», dans Révolutions et justice pénale en Europe. Modèles français et traditions nationales (1780-1830), Paris, Montréal, L'Harmattan, 1999, pp. 32-34; Da Passano, Emendare o intimidire? cit., p. 85. Le jugement que Bentham formulait sur le droit pénal français post-thermidorien est très intéressant: «J'étonnerais les lecteurs si je leur exposais le Code pénal d'une Nation célèbre par son humanité et par ses Lumières. On s'attendrait à y trouver la plus grande proportion entre les délits et les peines: on y verra cette proportion continuellement oubliée ou renversée, et la peine de mort prodiguée pour les délits les moins graves. Qu'en arrive-t-il? La douceur du caractère national étant en contradiction avec les lois, ces sont les moeurs qui triomphent, ces sont les lois qui sont éludées: on multiplie les pardons, on ferme les yeux sur les délits, on se rend trop difficiles sur les témoignages et les Jurés, pour éviter un excès de sévérité, tombent souvent dans un excès d'une indulgence. De là, résulte un système pénal incohérent, contradictoire, unissant la violence à la faiblesse, dépendant de l'humeur d'un juge, variant de circuit en circuit, quelque fois sanguinaire, quelque fois nul»: Bentham, Traités de législation civile et pénale cit., II, pp. 430-431 (souligné par nous). 14 AN, BB 1 143. V. J.L. Halpérin, «Continuité et rupture dans l'évolution de la procédure pénale de 1795 à 1810», dans Révolutions et justice pénale en Europe. Modèles français et traditions nationales (1780-1830) cit., p. 122. 15 Locré, XV, p. 4. 16 «Ce fut peut-être une idée philantropique que celle qui chercha à épargner à un criminel les horreurs d'un passage contre lequel la nature se révolte si hautement; mais il est certain, et l'expérience l'a prouvé et le prouve encore tous les jours, que ce genre de supplice, qui n'offre ni ignominie au coupable, ni frayeur à ceux qui en sont les témoins, a manqué essentiellement le but de la loi» notaient les juges de la Cour d'appel d'Orléans (Observations de la Cour d'appel d'Orléans, dans Observations des tribunaux d'appel sur le projet de code criminel, Paris, an XIII (Imprimerie Impériale), II, p. 2). 17 Observations du Tribunal d'appel séant à Pau, dans Observations des tribunaux d'appel sur le projet de code criminel, Paris, an XIII, II, p. 2. Du même avis les juges du tribunal de la Haute Garonne: les malfaiteurs «ne pourront être réprimés que par la Terreur des supplices. C'etait une belle idée de philanthropie et d'humanité, que celle qui voulait mettre en doute le droit d'une nation sur la vie et sur la mort de ses membres» (Observations du Tribunal de la Haute Garonne, dans Observations des tribunaux criminels sur le projet de code criminel, Paris, an XIII, II, p. 5). Les jurisconsultes de la Cour d'appel de Trèves recourent à des images belliqueuses: «Un code criminel est un signal de guerre que la loi montre au crime et à ses auteurs. Sa vue doit effrayer l'âme du scélérat; son aspect doit retenir l'homme qui combat encore contre son funeste penchant» (Observations du Tribunal d'appel séant à Trèves, Observations des tribunaux d'appel sur le projet de code criminel citt., II, p. 2). Le législateur, observe le corps judiciaire de la Dordogne, «doit toujours prendre pour règle l'utilité publique, base de la justice humaine», ce pourquoi «on doit applaudir à la justesse énergique des commissaires» (Observations des tribunaux criminels citt., II, p. 2). Le commissaire du Gouvernement près le tribunal criminel du Département de l'Indre se référant à l'article 13 du projet affirme que «on ne pourrait croire aux atrocités prévues par cet article si l'expérience ne démontrait la réalité» (AN, BB 30 527). Voir aussi les Observations du tribunal criminel du Léman (Observations des tribunaux criminels sur le projet de code criminel citt.,III, p.1): «Ce genre de mort frappe davantage les spectateurs et augmente par là l'efficace de l'exemple principal but des condamnations» (souligné par nous). Un dernier exemple: «Dans le cas de certains crimes particulièrement atroces la peine de mort est précédée d'une rigueur sans doute considérable; mais l'atrocité particulière de ces crimes nécessite dans leur punition une rigueur qui, sans outrager l'humanité par son excès, soit propre cependant à imprimer une terreur salutaire dans l'âme de ceux qui seraient tentés de les commettre [...]. Quelques-unes des peines sont perpétuelles; mais il est des hommes tellement pervers et corrompus jusque dans le plus intime de leur substance, qu'ils doivent être rejetés pour toujours de la société. La marque [...] est encore un frein salutaire que sollicite l'intérêt de la société»: Observations du tribunal criminel des Ardennes, dans Observations des tribunaux criminels sur le projet de code criminel cit., I, p. 2). 18 «Quelques Observations sur le projet de réunir les tribunaux criminels aux Cours d'Appel», AN, BB 30 530. 19 Le 15 ventôse de l'an IX (15 mars 1801) Muraire, président de la commission du Tribunal de Cassation, envoyait une lettre au ministre de la Justice dans laquelle il communiquait que «la commission qui doit être chargée de la Révision vient être nommée dans la Réunion générale des sections du tribunal, [...] composée des citoyens Coffinhal Gandon, Target, Viellart, et Muraire; elle va se lever incessamment à l'honorable travail qui lui est confié»: cf. AN, BB 18 738. 20 Solimano, Verso il Code Napoléon cit., p. 235 et suiv. 21 Solimano, Verso il Code Napoléon cit., p. 351. 22 Ph. Sagnac, La législation civile de la Révolution française, Paris, 1898, (reprint Glashütten in Taunus 1971), p. 55 et surtout J.L. Halpérin, L'impossible code civil, Paris, PUF, 1992, p. 231 et suiv. 23 Halpérin, L'impossible code civil cit., p. 239. 24 Projet d'un code des successions, rédigé pour faire partie du code civil par Guillemot (de la Côte d'Or); ex-membre de la commission de la classification des lois et de la révision des lois (BN, Le 43 4037) (AN, AD II 49); v. Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 96-101. 25 A ce propos, nous voudrions souligner que le projet Jacqueminot est bien plus qu'une simple esquisse. En effet si nous confrontons le texte préparé par Jacqueminot et les articles élaborés par la Commission napoléonienne, nous constatons, non sans étonnement, que les dispositions concernant la matière successorale ont été transmises telles quelles dans le Code Napoléon, retouchant un mot, un verbe, un point en plus ou en moins. Le projet Jacqueminot est toujours là, bien vivant. Loin d'être une esquisse de code, le projet du magistrat de Nancy est déjà le Code Napoléon. Il suffit de confronter par exemple les articles suivants du projet (FENET, I, pp. 395 et suiv.: 1, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 24, 25, 26, 27, 29, 29 II alinéa, 31, 35, 36, 37, 40, 41, 44, 54, 77,83 II alinéa, 79, 80, 88, 91, 92, 95, 99, 101, 98, 106, 107, 108, 123, 124 {on ne retrouve plus le délai de cinq ans}, 126, 127-128) non seulement avec les dispositions du projet de la Commission (FENET, II, pp. 124 et suiv.: 1, 7, 8, 9, 13, 14, 22, 23, 24, 25, 27, 27 II alinéa, 29, 33, 34, 35, 37, 38, 43, 51, 52, 53, 79, 85 II alinéa, 81, 82, 90, 93, 94, 97, 101, 103, 100, 108, 109, 110, 125, 126, 128, 129-130), mais surtout avec les normes du Code Napoléon: 718, 720, 721, 722, 724, 727, 728, 729, 730, 732, 733 I alinéa, 735, 739, 740, 741, 743, 744 I alinéa, 746 I alinéa, 753, 755 II alinéa, 775, 779, 781, 782, 785, 788, 789, 791, 795, 797, 801, 802, 803, 804, 815, 817, 818. Et ainsi de suite. Quant aux donations mortis causa on peut voir les dispositions relatives à l'exécution des donations aux art. 89 et suiv. du projet Jacqueminot (FENET, I, pp. 383 et suiv.), les artt. 95 et suiv. du projet de la Commission (FENET, II, pp. 290 et suiv.) qu'on peut comparer avec les normes du Code aux articles 1014, 1015, 1016 , 1017, 1018, 1019, 1020, 1021, 1023. Mais il ne s'agit pas d'un cas unique: nous pouvons relever le même élément en analysant le titre sur la puissance paternelle. Ce titre qui n'est pas compris dans le recueil Fenet est publié en appendice à Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 403-407. Il est significatif que Cambacérès dans ses Mémoires récemment publiés affirme que les «Consuls nommèrent une commission qui fut chargée de revoir le projet de code présenté aux assemblées» (Mémoires cit., pp. 565-566, souligné par nous). Dans une note de ces mémoires Cambacérès révèle: «En prenant les rênes du gouvernement, Bonaparte eut la pensée de donner au peuple français de bonnes lois civiles. Dans nos premières conférences il nous fit part de ses désirs et des ses espérances pour l'accomplissement d'un aussi grand ouvrage. "Vous avez, me dit-il, fait plusieurs codes. Ne pensez-vous pas qu'il serait utile de les fondre et de présenter au Corps Législatif un nouveau projet qui fût à la hauteur des idées du siècle et digne du gouvernement?" Les projets dont j'étais l'auteur avaient été présentés le 9 août, 9 septembre 1795 et 20 juillet 1796. En offrant au Premier Consul un exemplaire de chacun d'eux, je crus devoir lui dire qu'ils contenaient des dispositions qui avaient été l'objet d'une forte controverse, et d'autres qui semblaient contraires aux principes d'une saine politique et aux règles de la bonne morale. Quelques jours après il me dit: " J'ai lu vos projets de code et les discours dont ils sont précédés. Il règne dans les discours un esprit d'analyse dont j'ai été satisfait. Quant aux articles du code, vous les avez rédigés avec tant de clarté que je n'ai pas besoin de les relire pour les entendre. Vous avez eu raison de me dire qu'il fallait revoir et refondre ces projets. Indiquez des hommes qui soient en état d'entreprendre ce travail, et rédiges un arrêté qui leur serve de guide"» (Ibidem, p. 583). Il ne faut pas oublier ce que Napoléon pensait de Jacqueminot: «Jacqueminot a beaucoup de connaissances en législation et un esprit fort juste» (Mémoires de Bourrienne sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration, Paris, 1829, III, p.151). 26 Cette nouvelle interprétation part de l'analyse perçante de Xavier Martin. Cf. «Nature humaine et Code Napoléon», Droits, 2, 1985, p. 117 et suiv.; «Aux sources thermidoriennes du Code civil. Contribution à une histoire politique du droit privé», Droits, 6, 1987, p. 107 et suiv.; «L'individualisme libéral en France autour de 1800: essai de spectroscopie», Revue d'histoire des Facultés de droit et de la science juridique, 4, 1987, p. 87 et suiv.; «A tout âge? Sur la durée du pouvoir des pères dans le code Napoléon», Revue d'histoire des Facultés de droit et de la science juridique, 13, 1992, p. 227 et suiv. 27 Art. 32 et 47. V. Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 251-265. Quant à la puissance paternelle dans le Code Napoléon v. B. Schnapper, La correction paternelle et le mouvement des idées au XIXème siècle (1789-1935), dans Id., Voies nouvelles en histoire du droit, Paris, PUF, 1991, p. 529 et suiv. Sur la capacité de la femme mariée durant cette période v. J.-L. Gay, «La capacité de la femme mariée en France en droit intermédiaire. Projets de codification, pratique, jurisprudence», Mémoires de la Société pour l'histoire du droit et institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, 1993, p. 129 et suiv. V. aussi A. Cavanna, «Mito e destini del Code Napoléon in Italia. Riflessioni in margine al Panegirico a Napoleone legislatore di Pietro Giordani», dans Giordani. Leopardi 1998. Convegno nazionale di Studi (Bibl. Stor. Piacentina, 11, Piacenza 2000), pp. 53-57. 28 Art. 72 du projet: Solimano, Ibidem, pp. 268-276. Sur la réaction thermidorienne à propos du divorce v. G. Lottes, «Le débat sur le divorce et la formation de l'idéologie contre-révolutionnaire», dans La Révolution et l'ordre juridique privé. Rationalité ou scandale?, Paris, PUF, 1988, I, pp. 317-333. 29 Art. 184 et 185: Solimano, Ibidem, p. 249 et p. 325. Sur l'adoption L. Dejob, Le rétablissement de l'adoption en France, Paris, 1911, (Thèse Droit), pp. 119-189; N. D. Lallement, «Renaissance de l'adoption dans le droit intermédiaire: droit de l'enfant ou de droit de l'adoptant?» dans Les droits de l'homme et la conquête des libertés, des Lumières aux révolutions de 1848, Grenoble, 1988, (Presses universitaires de Grenoble), pp. 301- 309; Martin, L'insensibilité des rédacteurs du code civil à l'altruisme cit., pp. 594 et suiv.; Lefebvre Teillard, Introduction historique cit., pp. 371-375. 30 V. A. Bürge, Das französische Privatrecht im 19. Jahrhundert, Frankfurt am Main, Klostermann, 1991, p. 12; J.F. Niort, «Droit, économie et libéralisme dans l'esprit du Code Napoléon», Archives de philosophie du droit, 37, 1992, p. 102 et p. 117; J. L. Halpérin, Histoire du droit privé français depuis 1804, Paris, PUF, 1996, p. 37. 31 F. Monnier, «Propriété», dans Dictionnaire Napoléon, sous la direction de J. Tulard, Paris, 1989 (Fayard), pp. 1412-1414; J. L. Halpérin, Le Code civil, Paris, Dalloz, 1996, p. 58. 32 Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 283-291. 33 Art. 258; Solimano, Ibidem, pp. 343-346. 34 V. supra p. 35 FENET, II, p. 492. 36 Ibidem, p. 494. 37 Ibidem, p. 496. 38 Ibidem, p. 492. 39 X. Martin, Nature humaine et Révolution française. Du siècle des lumières au code Napoléon, Bouère, DMM, 1994, p. 237. 40 V. S. Moravia, Il pensiero degli Idéologues. Scienza e filosofia in Francia (1780-1815), Firenze, Sansoni, 1974; Id. Filosofia e scienze umane nell'età dei lumi, Firenze, Sansoni, 1982. 41 Les pages de Bentham publiées dans la Bibliothèque Britannique avaient eu un grand retentissement, comme nous le confirme une lettre envoyée par Dumont à Bentham en 1801:«toutes les personnes que j'ai rencontrées connoissent la bibliot. Britann. connue ici de tout ce qu'on peut appeler des lecteurs, et toutes m'ont parlé de ces extraits que j'y avois mis et de vous» (The Correspondence of Jeremy Bentham, edited by A. Taylor Milne, Oxford 1984,(Clarendon Press), 6 (January1798- to December 1801), p. 459). Certes, dans la même lettre Dumont reportait également l'opinion de Talleyrand, qui doutait que «l'ancienne école de législation qui travaille au code civil» puisse apprécier les oeuvres du philosophe anglais (Ibidem, p. 458). Mais quoi qu'il en soit, les Traités de Législation publiés en 1802, s'étaient vendus en un rien de temps. Dès 1797, un magistrat parisien auquel Dumont avait donné quelques épreuves de traduction n'avait pas hésité à s'exclamer: «Qu'ils passent la première édition, [...], et ils éclairciront bien nos bibliothèques»: Bibliothèque Britannique cit., V, p. 160. Joseph Elzéar Bernardi en 1799, lors de la publication de son Institution au droit françois civil et criminel, ou Table raisonné de l'etat actuel de la jurisprudence françoise (Paris, an VII, pp. vj-vji) déclarait explicitement qu'il s'était inspiré de Bentham: «Un traité manuscrit de Bentham, intitulé: Principes du droit civil, dont on trouve des extraits fort étendus dans différens numéros de la nouvelle Bibliothèque Britannique, nous a suggéré la première idée de cet ouvrage» (Non seulement, les réflexions qu'il émit sur le droit de famille et des successions étaient empruntées telles quelles aux pages publiées dans la Bibliothèque Britannique: Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 89-96). Le 8 avril 1803, le membre du Corps législatif Combe Dounous présenta les Traités de Bentham dans des termes enthousiastes: «Cet ouvrage est un des premiers résultats de cette espèce de gravitation morale vers le perfectionnement des principes élémentaires de la science des lois et vers l'amélioration du code de chaque peuple, amenée par le progrès des lumières en Europe. [...]. Les appréciateurs éclairés regardent ces traités de législation civile et pénale, comme une espèce de catéchisme de législation spécialement appropriée à ceux qui prennent une part plus ou moins immédiate à la confection des lois. Cet ouvrage est peut-être, sous ce rapport, ce que sont les aphorismes d'Hippocrate pour les médecins, ce qu'est le manuel d'Epictète pour les moralistes. Il presente une sorte de concentration de principes et d'éléments législatifs, dont la méditation et l'application éclairée ne peuvent que faire faire beaucoup de chemin à une science dont les progrès jusqu'ici n'ont été que trop malheureusement retardés» (Moniteur Universel, Paris 9 avril 1803, p. 895). A l'occasion de la réédition des oeuvres du philosophe anglais (préface de l'édition de Londres de 1811 dans Oeuvres de Jérémie Bentham, Bruxelles, 1829, II, p.1), Dumont allait écrire ce qui suit: «Lorsque je publiais à Paris en 1802 les Traités de législation civile et pénale en trois volumes j'annonçais divers écrits du même genre [...]. Le succès m'encourageait à continuer. Trois mille exemplaires se sont écoulés plus rapidement que je n'aurais osé l'espérer [...]. J'ai même lieu de penser que tout récent qu'il est il n'a pas été sans influence puisqu'il a été fréquemment cité dans plusieurs compositions officielles sur des codes criminels ou civils» (souligné par nous). Napoléon en personne lira l'ouvrage du philosophe anglais, si l'on en croit ce qu'écrit Bentham à son frère le 2 octobre 1804: «Bonaparte had had in his hands Dumonts books. He said to I don't know who C'est un livre de génie» (Correspondence of Jeremy Bentham cit., 7, n. 1852, p. 281). Officiellement Bentham n'hésitera pas à déclarer que les codificateurs français s'étaient inspirés de son oeuvre (v. la lettre au Président James Madison du 30 octobre 1811 dans laquelle Bentham affirmait que les rédacteurs des codes «have done me the onor to take into consideration and make mention of that work of mine [Traités de Législation civile et pénale]»: The Correspondence of Jeremy Bentham, edited by S. Conway, 8 (January 1809-December 1816), Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 188). En réalité, il n'était nullement satisfait des codificateurs français. Le texte qui, à ses yeux, se sauvait était le code pénal napoléonien: «quoique les Rédacteurs de ces Codes aient cité mes ouvrages, quoiqu'ils en aient emprunté quelques idées, la base de leur travail est l'ancienne Jurisprudence romaine et n'a rien de commun avec le mien. Le Code pénal de Napoléon, ce qu'on a fait de mieux en ce genre, me paroît encore bien loin de ce qu'il devroit être» (17 January 1814, From Etienne Dumont, The Correspondence of Jeremy Bentham cit., 8, p. 366). 42 Martin, «Nature humaine et Code Napoléon» cit., pp. 124-128; «L'individualisme libéral en France autour de 1800: essai de spectroscopie» cit., pp. 117-129; «A tout âge? Sur la durée du pouvoir des pères dans le code Napoléon» cit., pp. 262-301. Pierre Rosanvallon (L'Etat en France de 1789 à nos jours, Paris, 1990, pp. 120-121) a observé justement que le que travail de régénération des révolutionnaires «n'en continuera pas moins, par la suite de constituer un impératif essentiel pour tout le XIXème siècle. Seuls varient au fond le degré d'ambition dans cette transformation ainsi que ses moyens: au projet extrême de modification du coeur même de l'homme se substitue une recherche plus modeste d'inflexion des conduites de l'individu. Plus modeste comparée à la visée totalitaire d'une saisie des consciences, s'entend. Ce sont logiquement des médecins ─ comme Bichat, Pinel, Vicq dAzyr, Cabanis ─ qui en fixent le programme dès la fin du XVIIIème siècle. Avec eux, le législateur se double d'un médecin du corps social. Gouverner et soigner relèvent du même principe et doivent donc obéir aux mêmes lois, celles d'une science de l'homme qui fonde ensemble la physiologie, la morale et l'analyse des idées». 43 Il faut souligner néanmoins que ces conceptions mécanistes s'entrelaçaient avec celles d'autres auteurs comme par exemple l'empirisme de Hume ou la philosophie de Smith (V. J.F. Niort, Homo civilis. Repères pour une histoire politique du Code civil, Thèse sc. pol., Paris I, 1995, p. 61; Halpérin, Le code civil cit., p. 113; Id., «Quatre avocats pour un code civil», Revue Internationale d'Histoire de la profession d'Avocat, 10, 1998, pp. 192-194. En général sur le rôle joué par la "philosophie des passions" v. l' étude perçante de A. Hirschman, The passions and the interests (éd. it. Milano 1979); aussi R. Ajello, «Egoità sociale. Alle origini del realismo critico e dello Stato moderno in Europa», Frontiera d'Europa, 2, 1996, pp. 113-124. Il est probable que les juristes napoléoniens, pour reprendre l'expression de Louis Sébastien Mercier (Le Nouveau Paris, Paris, 1800, p. 121) avaient «formé une espèce de pâte» des idées de Cabanis ou de Destutt de Tracy, de celles de Bentham ou de Hume. Un exemple va dans ce sens: Scipion Bexon dans l'Introduction de l'Application de la théorie des lois à l'homme considéré dans ses penchants et dans ses passions ou droit (cit., p. i) affirmait: «On trouvera, dans cette Introduction, plusieurs idées d'écrivains célèbres, tels que Montesquieu, Bentham, Filangieri, Blackstone, exposition de la doctrine de Gall, Pastoret et Cabanis dont le bel ouvrage des Rapports du physique et du moral de l'homme, est loin d'être étranger aux principes de la Législation, et à l'auteur duquel je me plais à offrir l'hommage de ma reconnaissance, par l'obligeance avec laquelle il m'a permis d'en faire usage». Et n'oublions pas le poids de la culture janséniste: v. M. Pena, «Jansénisme et code civil», Revue de la recherche juridique, 1992, pp. 817-832; bibliographie dans Solimano, Verso il code Napoléon cit., pp. 130-135. 44 V. Jacqueminot (FENET, I, p. 331), J. E. Bernardi, Institution au droit françois civil et criminel, ou Table raisonné de l'etat actuel de la jurisprudence françoise, Paris, an VII, pp. 27-28; Guillemot, Projet d'un code des successions, rédigé pour faire partie du code civil par Guillemot, (de la Côte d'Or); ex-membre de la commission de la classification des lois et de la révision des lois, Conseil des Anciens (BN, Le 43 4037), p. 7; A. Nougarede de Fayet, Essai sur l'histoire dela puissance paternelle, Paris, 1801, pp.131-134; Maleville (FENET, IX, p. 486); Gillet (FENET, IX, p. 187);Carion Nisas (Ibidem, p. 511). 45 Il suffira de citer la très célèbre lettre que Napoléon avait envoyée à son frère Joseph à Naples le 5 juin 1806: «Etablissez le code civil à Naples tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire, en peu d'années, et ce que vous voudrez conserver se consolidera. [...] Voilà le grand avantage du code civil [...] il consolide votre puissance puisque, par lui, tout ce qui ne vous est pas fidéicommis tombe et qu'il ne reste plus de grandes maisons que celles que vous érigez en fiefs. C'est ce qui m'a fait prêcher un code civil et m'a porté à l'établir. Etablissez le code civil: tout ce qui vous est favorable vivra; tout ce qui vous est contraire mourra» (Correspondance de Napoléon I er, publiée par ordre de l'empereur Napoléon III, XII, Paris, 1863, Imprimerie Impériale, pp. 432-433). 46 Gabriel Raimond Jean-de Dieu François Olivier en 1800 s'exclamait: «Le législateur devant seconder l'empire des bonnes moeurs, y pourvoira en partie, s'il favorise les mariages, s'il empêche qu'ils soient facilement dissous, s'il attribue au mari un droit d'administrarion des biens de sa femme, et s'il règle l'autorité maritale d'une manière convenable» (Essai sur l'art de la législation, suivi d'un plan abrégé de rédaction d'un code civil, Carpentras, Paris an VIII- 1800, p. 23). Cf. E. G. Sledziewski, «La Révolution française, un scandale fondateur: le point de vue des jurisconsultes, artisans du code civil», dans L'image de la Révolution française, Congrés mondial pour le Bicentenaire, sous la dir. De F. Vovelle, Paris Oxford, 1990, p. 430. 47 Halpérin, L'impossible code civil cit., p. 267. 48 C'était le cas, notoirement connu, de Felix Bigot de Préameneu incarcéré à Sainte Pélagie de février jusqu'à août 1794 (A. Fierro-Domenech, Dictionnaire Napoléon cit., p. 218), de Portalis (C. Langlois, Ibidem, p. 1363), de Jacqueminot (A. Fierro-Domenech, Ibidem, p. 962), de Boulay de la Meurthe (J. Tulard, Ibidem, p. 275); de Emmery (A. Fierro-Domenech, Ibidem, p. 662), deTronchet qui avait échappé à la prison grâce à la clandestinité (A. Fierro-Domenech, Ibidem, p. 1659) ou enfin de Siméon qui, en 1793, s'exila en Italie (J. Tulard, Ibidem, p. 1577). 49 J.M. Poughon, Le Code civil, Paris, PUF, 1995, p. 16. 50 Sur le pessimisme anthropologique des principaux acteurs de la codification v. X. Martin, «Politique et droit privé après Thermidor», dans La Révolution et l'ordre juridique privé. Rationalité ou scandale?, Paris, PUF, 1988, I, p. 174; Id., «L'individualisme libéral en France autour de 1800: essai de spectroscopie» cit., pp. 87-144; «A tout âge? Sur la durée du pouvoir des pères dans le code Napoléon» cit., pp. 262-301; mais aussi Halpérin, Quatre avocats pour un code civil cit., p. 194. 51 Sur le rôle des avocats pendant l'Ancien Régime v. F. Delbeke, L'action politique et sociale des avocats, Louvain, 1927, (Libr. Universitaire), M.P. Fitzsimmons, The Parisian Order of Barristers and the French Revolution, Cambridge, Harvard University Press, 1987, D. A. Bell, Lawyers and citizens, The making of a Political Elite in Old Regime, New York-Oxford, Oxford University Press, 1994, J. P. Royer, Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 1995, pp. 150-153 et pp. 160-171; L. Karpik, Les avocats entre l'Etat, le public et le marché XIII-XX siècle, Paris, Gallimard, 1995. 52 S. Shama, Cittadini, Cronaca della Rivoluzione francese, (ed. it.) Milano, Sansoni, 1989, p. 289. 53 E. Hua, Mémoires d'un avocat au Parlement de Paris, Poitiers, 1871, p. 16, n. 1 54 En 1787, dans le cadre du procès intenté contre la Marquise D'Anglure (excluse de la succession de sa mère parce que de père protestant), Target s'expose en affrontant la question huguenote. Il rédige un puissant mémoire dans lequel il prie énergiquement et ouvertement le souverain de concéder les droits civils aux protestants. Cette Consultation fit un tel bruit que Louis XVI promulguera peu après un édit de Tolérance qui pose les bases du principe de la sécularisation de l'état civi. V. A. Lods, «L'Avocat Target défenseur des Protestants», Bulletin de la Société de l'histoire des protestantisme français, XLIII, 1894, pp. 599-608; P. Grosclaudes, Malesherbes témoin et interprète de son temps, Paris, Libr. Fischbacher, 1961, pp. 559-602; J. Hudault, Guy Jean-Baptiste Target et la défense du statut personnel à la fin de l'Ancien Régime, (Thèse Droit Paris), 1970, passim. Pour finir cf. A. Lefebvre Teillard, «Les problèmes juridiques posés par l'Edit de 1787», Bulletin de la Société de l'histoire du Protestantisme français, 134, 1988, Actes des Journées d'études sur l'Edit de 1787, Paris, 9 et 10 octobre 1987, pp. 249-253; 55 «Ce n'est pas par le moyen de l'inféodation, que l'on parviendra à augmenter les produits de ce nerf sacré de l'Etat. C'est au contraire une manière de le détruire absolument; et il n'est pas possible de s'en faire une illusion: les loix même viennent réclamer contre cette proposition»: Mémoire sur l'amélioration des domaines et bois du roi sur les vices de l'administration actuelle, et sur les moyens d'en tirer un parti plus avantageux au profit de l'Etat, en procurant la tranquillité aux détempteurs, Paris, Berlin 1788, p. 23. Target était un physiocrate, en 1769, il avait publié des Observations sur le commerce des grains (Ecrites en décembre 1769, Par M... Avocat, Amsterdam 2 ed. 1775, p. 29). 56 Bulletin à la main du 5 janvier 1788, BN. V. H. Monin, L'Etat de Paris en 1789, Paris, Jouauste, 1889, p. 99; J. Egret, La Pré-Révolution française 1787-1788, Paris, PUF, 1962, p. 123; Hudault, Statut personnel et droit naturel dans l'oeuvre judiciaire de G. J. B. Target cit., pp. 75-76. 57 Instruction ou si l'on veut Cahier de l'Assemblée du bailliage de ***, Paris, 1789, p. 8; 58 Archives Parlementaires 1re série, Paris, Librairie P. Dupont, 1867, V, p. 241. 59 Ibidem. 60 Ibidem. 61 S. Rials, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988, pp. 233-235; J.M. Carbasse, «Le droit pénal dans la Déclaration des droits», Droits, 8, 1988, pp. 123-134, P. Poncela, «Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne», Droits, 17, 1993, p. 141. 62 V. Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 185-210. 63 J.B. Target, Etat physique, moral et politique de la France au 12 Floréal de l'année 5 ème de la République (1797), ce pamphlet a été reporté dans le volume de P.L. Target, Target un avocat du XVIIIème siècle, Paris, 1893, (éd. Target), pp. 58-75. V. aussi l'analyse de cette brochure par Lascoumes, Poncela, Lenoël, Au nom de l'ordre cit., pp. 214-216. 64 Target, Etat physique, moral et politique de la France cit., p. 58. 65 LOCRÉ, XV, p. 5. 66 Ibidem. 67 C'est le cas du collègue de Target René Louis-Marie Viellart ouvert aux buts lumineux rousseauiens à l'aube de la Révolution, Révolution dont il sortit après Thermidor avec la psycologie endurcie du rescapé. Celui qui en 1789 avait acquis une certaien notoriété en publiant le libelle Idée d'une notion importante pour compléter l'arrêté du 5 août, un pamphlet parcouru d'idéaux réformateurs (exaltant les magistrats philosophes, il avait plaidé énergiquement la rédaction d'un code civil: J. Van Kan, Les efforts de codification en France, Paris, Rousseau, 1929, p. 189), en 1801 observait avec désolation que «la tempête révolutionnaire a pénétré jusqu'au limon de la société, et le soulève jusqu'à la surface qui en est encore toute souillée; les passions ont été des haines; les fureurs de tous les partis ont évoqué à leur aide tous les scélérats qu'elles revomissent aujourd'hui de toutes parts; l'impunité a décuplé l'audace; tous les crimes conspirent contre l'ordre social et en sapent les fondements; il est tems que toutes les autorités conspirent pour les raffermir; il est tems que de grands exemples attestant le retour de la justice, inspirent un salutaire effroi à ceux qui seraient prêts à se jeter dans la route du crime» (Moniteur Universel, 10 vendémiaire an IX, p. 36). Il en va de même pour Jean Blondel qui en 1789 s'était distingué en rédigeant la célèbre Discussion des principaux objets de la législation criminelle dans laquelle il avait stigmatisé les défauts de l'Ordonnance criminelle (v. B. Schnapper, «La diffusion en France des nouvelles conceptions pénales dans la dernière décennie de l'Ancien Régime», dans Illuminismo e dottrine penali, Milano, Giuffé, 1990 (La Leopoldina, 10), pp. 417-418) et que pendant le Consulat il collabore donc à la rédaction du projet parfois glaçant de code pénal de 1801. Encore un exemple. «[...] L'expérience nous invite à ne pas nous trop abandonner non plus à la séduisante douceur d'une philosophie abstraite qui voit les hommes comme elle voudrait qu'ils fussent, même dans leurs égaremens, et qui ne les voit pas tels qu'ils sont» observait en 1797 un membre grisonnant du Conseil des Cinq Cents (Rapport fait au nom de la classification et de la révision des lois par Emmanuel Pastoret, Sur l'état actuel de la législation pour la répression du vol et du brigandage, et sur quelques erreurs ou quelques omissions de nos lois correctionnelles et pénales, 25 pluviôse an 5: BN Le 43 739, souligné par nous). Qui était celui-ci? C'était Emmanuel Pastoret, l'auteur du célèbre traité du droit pénal (Des loix pénales, Paris, 1790) qui, par bien des aspects, avait constitué un monument érigé à l'humanitarisme des Lumières (v. Schnapper, «La diffusion en France des nouvelles conceptions pénales dans la dernière décennie de l'Ancien Régime» cit., pp. 423-424). D'autres juristes encore étaient sortis du même tunnel. Jean-Etienne-Marie Portalis dans son fameux De l'usage et de l'abus de l'esprit philosophique durant le XVIIIe siècle, Paris, 18343, (Moutardier), p. 394) l'ouvrage plus représentatif du climat post-thermidorien, denonçait «le désir exalté de sacrifier violemment tous les droits à un but politique», et l'«épouvantable désordre» qui avait menacé la sécurité des citoyens. «Jetons les yeux - s'exclamait-il - sur l'effrayant tableau des excès et des maux qui nous ont accablés sous l'infâme règne du terrorisme. Toutes les têtes et toutes les fortunes étoient menacées. Combien de scènes atroces...» (Ibidem). Jean-Ignace Jacqueminot qui en 1789 avait participé activement à la rédaction du Cahier de Nancy, présentait son projet en 1799 qui frappe par ses accents polémiques: «le fanatisme d'une égalité follement interprétée régnait, comme auparavant le fanatisme des privilèges. Les lois civiles en reçurent l'empreinte. Les représentans les plus vertueux et les plus éclairés ne pouvaient tout-à- fait échapper à la contagion universelle, ni s'affranchir du joug qui pesait partout» (FENET, I, p. 329). 68 «Le peuple ne sommeille pas toujours», observait Target, le 1er août 1789, «il rassemble ses forces pour secouer le joug dont on le fatigue; c'est à nous diriger ses efforts avec sagesse, avec prudence» (Archives Parlementaires cit.,VIII, p. 320). 69 LOCRÉ, XV, p. 5. 70 «En apprenant à l'homme quels sont ses droits, il respectera ceux des autres; il sentira qu'il ne peut jouir des siens qu'en n'attaquant pas ceux des autres, et il sentira enfin que la force de son droit est dans le respect qu'il aura pour celui des autres. C'est ainsi que la vérité devient utile, et que la lumière, qui brille sur ces beaux fondements, brille aussi dans les siècles autant que dans la monarchie sur laquelle elle repose. [...] C'est en gravant sur l'airain la Déclaration des droits de l'homme, que nous devons faire cesser les vices de notre gouvernement, et en préserver la postérité» (Archives Parlementaires cit.,VIII, p. 320). 71 LOCRÉ, XV, p. 7. 72 Ibidem. 73 LOCRÉ, XV, p. 5. 74 Ibidem. 75 LOCRÉ, XV, p. 7. 76 LOCRÉ, XV, p. 4. 77 V. supra n. 63. Le parcours spirituel parcouru par Joseph Elzéar Bernardi (1751-1825), un des professeurs de droit romain et de droit privé les plus renommés durant le Consulat, mais également chef de la division civile du ministère de la Justice, est parfaitement emblématique. A l'aube de la Révolution, Bernardi jouit en France d'une notoriété considérable car il a remporté en 1780 (ex aequo avec Brissot de Warville) le prix mis à concours par l'Académie de Châlons sur Marne grâce à un rapport «Sur les moyens d'adoucir la rigueur des lois pénales en France, sans nuire à la sûreté publique» (publié dans la Bibliothèque de Brissot de Warville, VIII, Discours de M. Bernardi, Avocat au Parlement d'Aix, pp. 18 et suiv.). Comme l'a observé avec raison Van Kan, Bernardi appartient, dans la même mesure qu'un Dupaty ou un Pastoret, «à la catégorie de juristes optimistes et enthousiastes» (Van Kan, Les efforts de codification en France cit., p.151). Dans son Rapport, Bernardi critique vivement l'inhumanité du droit pénal («les emprisonnemens faits avec trop de dureté, et les prisons malsaines et dangereuses, présentent souvent dans un vrai séjour d'horreurs, l'innocence accablée de fers et gémissante à côté de la scélératesse»: Sur les moyens d'adoucir la rigueur des lois pénales cit., p. 19) et l'absence de proportion entre le délit et la peine («qu'arrive t-il de leur disproportion révoltante? que l'excès même de leur rigueur contribue à favoriser le crime, à lui assurer l'impunité»: Ibid., p. 27). Il apparaît donc urgent d'abolir la plupart des peines en usage. Bernardi appelle à la suppression de la confiscation parce que cette peine frappait «l'innocente famille» (Ibid., p. 23), de la question préparatoire et de la question préalable (Ibid., p. 22) et enfin de la «marque de fleurs de lys ou tout autre»(Ibid., p. 24). Il demande également plus de droits pour l'accusé: «comment concevoir et expliquer le refus de donner un Avocat, un Défenseur à l'Accusé, tandis qu'on lui en accorde un chez presque toutes les Nations! (Ibid., p. 20). Somme toute Bernardi apparaît comme un parfait émule de Montesquieu et de Beccaria. Du réformateur, il possède la passion et l'enthousiasme: «le vrai but de la nature est donc que les hommes vivent en société, pour s'y secourir mutuellement et pour perfectionner les facultés qu'elle leur a données, et au développement desquelles elle attache leur félicité.» (J. E. Bernardi, Principes des Loix criminelles suivis d'observations impartiales sur le droit romain, Paris, 1788, pp. 5-6). Or, après la Révolution, Bernardi a perdu tout ardeur. Durant la tourmente jacobine, Bernardi, comme tant de ses collègues, connaît la prison: une expérience qui le marque profondément. Et le contenu de son ouvrage au titre significatif De l'influence de la philosophie sur les forfaits de la Révolution, que Bernardi publie en gardant l'anonymat en l'an VIII, montre combien la Terreur a défiguré son biotope idéolgique originaire (selon l'expression si juste de Xavier Martin). L'auteur y fait un tableau apocalyptique de la Révolution («Or, je soutiens que jamais la perversité humaine ne s'est montrée sous des formes plus hideuses et plus effroyables que dans la Révolution française»: p. viij). Bernardi en arrive à une conception fortement pessimiste: «Quand on quitte les régions ténébreuses de la Philosophie, et que, mettant de côté tous les rêves qu'elle nous débite sur la bonté naturelle des hommes, on les considère tels que l'expérience les a montrés de tous les tems, la scène devient bien différente» (Ibidem, p. 44. Bernardi avait donné à ce chapitre un titre tout à fait éloquent: «De la véritable nature de l'homme»). «Il est donc à peu près évident», continue Bernardi sur un ton proche de Hobbes, que l'homme «dégagé des liens de la civilisation doit être un animal bien féroce et bien terrible» (Ibid., p. 49). Pour «apprivoiser les hommes», observe-t-il même «on eût sans doute besoin de mêmes moyens qu'on a employés depuis pour apprivoiser les animaux sauvages. Il fallut les lier, les emmuseler, les accoutumer peu à peu à voir leurs semblables sans les mordre ou les dévorer» (Ibidem). Il est intéressant d'observer que Bernardi fut l'un des plus grands divulgateurs de la pensée de Bentham: Solimano, Verso il Code Napoléon cit., pp. 89-96. 78 Bien entendu, les juristes napoléoniens n'avaient pas tous suivi ce parcours. Napoléon appellera au Conseil d'etat ou maintiendra dans leur fonctions auprès du Tribunal de Cassation certains juristes (extrêmement habiles) qui s'étaient compromis juasqu'à la moëlle des os avec la Révolution, à l'instar de Merlin, Treilhard, Cambacérès, et puis Berlier et Oudot. Cependant ceux-ci aussi, au lendemain de Thermidor, s'étaient coulés dans la peau de réactionnaires convaincus. L'exemple de Oudot et Berlier déjà voués à une idéologisation radicale de la politique et du droit est tout à fait parlant. |
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FHI-Team Cette page date du 5 février, 2004 |